Arts visuels

|

Bernard Gigounon

Bernard Gigounon

°1972, Mouscron

www.bgigounon.be

Dès ses premiers travaux, Bernard Gigounon s'occupe à créer des correspondances, des ressemblances, des glissements d'un état de la forme vers un autre, par des manipulations internes de l'image, du son, par la juxtaposition de ceux-ci. Au départ axé sur une démarche sculpturale, il en retire une préoccupation permanente de la matière et de ses propriétés. D'une certaine façon, la suite du travail, majoritairement autour du médium vidéo, garde de la sculpture une volonté de considérer l'image en mouvement comme une matière proprement dite, avec ces caractéristiques de durée, de grain, et de possibilité de représentation, ainsi que de mise en espace. La question de la représentation y est centrale, et d'une certaine façon littérale. Littérale au sens où de façon récurrente, le spectateur est amené à lire l'image. Souvent, une opération simple, une manipulation, permet de faire basculer un état de représentation vers un autre.
A chaque fois, une invitation au voyage, au glissement magique.
De Méliès à Star Wars, les effets spéciaux ont toujours été un moyen de provoquer la sidération, le retour à l'enfance. Mais ici, il faudrait plutôt parler d'effet spécial au singulier, voire d'effet normal, tant l'artifice est à chaque fois évident, visible, rendant complice le regardeur de la supercherie.
La possibilité de décrochement du réel existe, mais les mécanismes de l'illusion ne s'avancent pas masqués, comme pour souligner la dérision comique de l'envie de merveilleux face au prosaïsme de la réalité, laissant le spectateur simultanément enchanté et désabusé.
Beaucoup de pièces relèvent de la synesthésie, en particulier dans le rapport à la musique.
La problématique de représentation de la musique est explorée par plusieurs moyens, et souvent en glissant d'une perception à une autre. La correspondance synesthésique, la volonté de réellement créer des « parfums doux comme des hautbois » est patente, en même temps que son autodérision, son échec programmé. La connexion avec l'état de nature, la compréhension magique du réel, rejoint la croyance dans la possibilité iconique de l'image, et la capacité de picturalité, voire de textualité, de la musique.
De nouvelles étapes dans le travail, avec l'utilisation de la performance musicale classique, se font jeu dans la réalisation des oeuvres, en particulier en remettant en contexte les lieux de l'interprétation, du lieu de l'enregistrement vers le lieu de la représentation. A l'ère baroque, à la basilique Saint-Marc de Venise, l'on pouvait assister à des chœurs spatialisés, éloignés dans l'espace, ou même dérivant sur l'eau. La musique n'est plus ici un matériau préexistant détourné mais bel et bien un matériau concret interprété dans un espace, et installé dans un autre espace. La problématique de la représentation se mue en problématique de l'interprétation, que le dispositif de monstration va mettre en tension. Il s'agit maintenant de creuser la matière même de la musique, dans son essence sacrée et profane, et dans les lieux qui la consacrent. Comme souvent, le procédé vidéo est élémentaire ; l'emploi du split screen dans l'espace déconstruit en points de vue les diverses voix de la polyphonie. Au spectateur de se rapprocher, de s'éloigner des voix, et de chercher l'endroit du lieu où l'accord harmonique se produit. Ces installations affirment tautologiquement cette correspondance entre multiplicité des voix et des points de vue. Ces nouvelles pièces questionnent aussi de plus en plus les limites et lieux consacrés habituellement à l'art contemporain, en investissant de façon inédite le monde de la musique classique, travaillant directement avec les ensembles musicaux et des endroits qui leur sont dédiés. La création d'une oeuvre recouvre ici le sens utilisé en musique d'interprétation.
Le travail de Bernard Gigounon est hanté par l'introuvable définition de la place que l'on occupe dans le réel. Se poser en sujet doué de perception, qui essaie de voir ce que ses yeux entendent, de lire ce qui n'a pas été écrit.
Provoquer un désordre sensoriel, seul capable de faire advenir la magie.

Olivier Drouot

De loin parallèle, 2016

Vidéo, 6,14 min

The Plate (en collaboration avec Lucie Soufflet), 2012 – La Louvière