°1977 – Annecy
Ce que tait la matérialité
Le champ d’intervention de l’artiste qui nous intéresse concerne la frontalité, la matérialité et la question de la délimitation.
Ne sont abordés dans ce texte que les intentions à portée strictement sculpturales et plus spécifiquement la relation qu’entretient la sculpture à son espace environnant. Non pas ce que la sculpture représente mais bien ce qu’elle suscite et véhicule implicitement dans un rapport toujours situé. La frontalité, le choix de la matérialité non assujettie, l’envergure des dispositifs mis en place se mesurent à des questions simples qui accompagnent un processus d’élaboration au quotidien. Le poids, l’agencement, la masse induisent des points limites d’équilibre (Brocéliande, 2008). Le poids maximal à soulever détermine des dimensions -qu’on le veuille ou non- liées aux nécessaires déplacements des oeuvres en dehors de l’atelier. Le temps de séchage définit l’organisation et la réutilisation possible d’autres panneaux de coffrages.
Ni de la sculpture moderne où le résultat découle davantage d’un assemblage de matériaux articulés ni de la sculpture actuelle de pointe (« des pièces ») ou chacune des tâches est divisible, délégable, reproduite et transposable, rejoignant en cela une certaine demande du marché.
La sculpture est ici envisagée comme confrontation à l’espace dans laquelle elle se situe, le rapport calibré de plein et de vide, de masse et/ou de fragilité inhérents à la matérialité, l’emprise et/ou contact avec le sol...constituent une somme de conventions avec lesquelles jouer et rejouer le même jeu. Un match de ping-pong basé sur les mêmes règles. Pourtant un nouveau match se donne la possibilité de se pratiquer à chaque fois de manière inédite. L’importance que revêt la position du regard prédomine également. Si les sculptures antérieures (Brocéliande, 2008) se présentaient à échelle humaine où l’équilibre précaire d’éléments maçonnés transformait radicalement la perception que l’on pouvait se faire d’un lieu, les sculptures récentes sont plus troubles quant à l’implication des dispositifs mis en situation. Dans le tableaux-écran (2012), on assiste à un objet tridimensionnel de faible épaisseur agissant comme un filtre. C’est précisément son emplacement qui révélera le contexte sous un autre jour. C’est de cette « grille de lecture » faisant plan, qu’une gradation spatiale peut s’installer dans un espace a priori neutre et infini ¹.
De la délimitation, il en est encore question dans la série Bunker (2011), une série de dessin de grandes dimensions, dans lesquels la masse roche-béton est saisie et isolée dans un état de suspension. Le territoire inoccupé de la feuille devient aussi essentiel que l’architecture circonscrite. A la pratique artistique, vient se superposer une activité scénographique s’inscrivant dans le champ de la danse contemporaine. Lors d’une résidence à Cologne, dans le cadre de la résidence Tanz research avec la compagnie Sine Qua Non (2013), l’artiste dépose le matériau paraffine jusqu’à l’étendre sur l’entièreté de la scène. Celle-ci, passant lentement de l’état liquide à l’état solidifié, fixe littéralement les dimensions du plateau. Cette sédimentation de matière devenant nappe conditionne les pas et gestes des danseurs comme le ferait l’obstacle physique d’une tierce personne. Le support n’est jamais un « blanc » mais de la matière (papier, paraffine, plâtre..). Il permet d’activer ce qui l’environne.
Christophe Pham.
¹ à propos de la villa à Garches de Le Corbusier versus le bâtiment du Bauhaus par Gropius Cf. C. ROWE et R. SLUTZKY, Transparence réelle et virtuelle, Paris (Les éditions du demi-cercle), 1992.
Cartographie, vue d’ensemble de l'exposition au centre d’art la Chataîgneraie, Flémalle. 2014
Plâtre, socle en métal peint en blanc. 45/42/21 cm pour chaque sculpture en plâtre.244/ 60 cm pour la structure/socle.
Brocéliande, vue d'atelier, 2008. Installation/Colonne variant en hauteur de 250cm à 60cm/19cm / 8 cm d’épaisseur. Briques et tasseaux de bois.