À travers ses films, ses photographies et ses installations, Laure Cottin Stefanelli poursuit une recherche autour de récits centrés sur des personnages habités de tensions paradoxales – pulsions de vie, de mort, érotiques – celles qui résultent de la séparation entre l’esprit et le corps. « "Je commencerai à décrire le culturisme de la seule manière que je connaisse : en analysant le rejet du langage ordinaire ou verbal", annonce l’auteure et culturiste américaine Kathy Acker dans son essai "Against ordinary language"1 (1992). Ce qu’elle appelle le rejet, c’est la réponse du corps à un langage qui voudrait le pénétrer tout entier. (…) Dans "Double You Double You" (2019) de Laure Cottin Stefanelli, c’est ainsi la peau de la culturiste Jennifer Teuwen qui pose les limites du film comme support. Dans les premières scènes de ce film de 17 minutes, la caméra passe en revue le corps de la culturiste, des pieds à la tête, en suivant les mains d’une assistante qui la huile de manière sensible et énergique. Le gros plan crée une image très sensuelle et donne l’illusion de voir l’huile se dissoudre dans la peau sous nos yeux. Il en résulte une narration qui réussit à capter ce à quoi le film aspire : devenir lui-même un corps. Avec ce film, Laure Cottin Stefanelli nous fait comprendre que cette aspiration échoue, elle aussi. En effet, le film est imprégné du postulat selon lequel le désir se nourrit de l’impossibilité à se dissoudre dans l’autre. Il y a un espace entre la caméra et le corps, une distance minimum, qui ne peut être abolie, puisque sans elle, personne n’aurait ce sentiment de proximité à l’autre. On peut dire que la réalisatrice construit son film autour de ces espaces vides palpitants, ou même mieux encore : que c’est le film lui-même qui les génère. (…) » Bernard Jarosch, Le désir mis en scène, extrait, 2019
1 Kathy Acker, Against Ordinary Language, in Kroker, Kroker (Ed.): Feminism and Outlaw Bodies (1993).
Double You Double You
Film still, 17 mins 53, 2019.
Courtesy de l’artiste
INNER SENSE — Bodies At Work
Vue de l'installation, ERG galerie, Bruxelles, 2018.
Courtesy de l’artiste