Dès ses premiers travaux exposés, Maëlle Dufour s’est attachée à illustrer une sorte d’histoire universelle de l’infamie, comme un lointain écho au recueil de Borgès, sauf son ironie. Sa titraille à elle - Aucun droit moins qu’un chien ; Sociétés dissoutes ; Entre-intérêts… - dessine plus crûment un monde défini par le moins disant d’humanité. Elle construit des dispositifs complexes qui semblent mettre physiquement à nu les ressorts d’une société essentiellement préoccupée par la surveillance et la haine de l’autre.
Mais en s’incarnant, son imaginaire fait aussi largement usage des ressources de la rêverie matérielle que théorisait Bachelard, et d’une palette métaphorique d’une richesse peu commune. Ainsi se nourrit le charme paradoxal de son œuvre, sans perdre jamais son fil, amèrement abouché au plus rugueux de l’histoire présente. C’est probablement ainsi que sa création trouve le mieux à nous remuer.
Un monticule de poussière de schiste tant bien que mal contenu par un drap comme gonflé d’un corps, porté par une table apparemment incapable de le supporter ; les mesures, les poids, tout excède les dimensions humaines. La chaleur d’une résistance plongée dans le corps de ce terril en chambre fait fleurir des champignons à sa surface.
La terre où nous allons, le territoire, la noirceur de la houille, celle du plomb, la pesanteur, – chaque élément, en grinçant, donne à la métaphore un tour de vis supplémentaire.
L’œuvre d’art propose mais ne tranche pas. Pour tentante qu’elle soit, la lecture de l’œuvre de Maëlle Dufour à la maigre loupiotte d’une actualité sans fin ni lieu ne ferait que l’appauvrir – et serait bien incapable de rendre compte du nouveau détour que la jeune artiste impose à son itinéraire en partant d’images d’enfants prises à la caméra thermique. Qu’y saisit-elle, sinon l’universalité du vivant, même réduite à un signe fiévreusement inscrit dans le gris indistinct du plomb (protection et poison, lourdeur contredite par le mouvement des enfants jouant).
La fenêtre que Maëlle Dufour ouvre ainsi jette un éclairage nouveau sur tout le travail déjà accompli ; la cohérence, la noirceur même de son discours n’obèrent pas une échappée belle. Yves Randaxhe, septembre 2019
Entre intérêts, 2019, techniques mixtes, dimensions variables, exposition monographique de Maëlle Dufour, biennale Watch This Space 10, réseau 50° nord. Les Brasseurs, Liège(BE) © Isabelle Arthuis
Sociétés dissoutes, 2018, bois, peinture blanche, vis, tirfond, brique, tôle et ciment / 280 x 280 x 600 cm - 150 x 150 x 150 cm - 150 x 50 x 150 cm, lauréate du PRIX DE LA COMMISSION DES ARTS DE WALLONIE 2018, centre culturel de Namur, Namur (BE), © Ithier Held
