Arts visuels

|

Art Brussels 2023

The Violet Wallpaper par Laurie Charles, Stand du FWB, Art Brussels ’23. Photo: David Plas.

 

Sur base d’un appel à projets lancé par la Direction des Arts plastiques contemporains, la curatrice Zeynep Kubat et l’artiste Laurie Charles ont été désignées par un jury d’experts.

Inspirée par la nouvelle The Yellow Wallpaper de Charlotte Perkins Gilman, Laurie Charles tente, dans son installation The Violet Wallpaper, de brouiller les frontières entre la sphère domestique et les corps qui y vivent. La protagoniste de la nouvelle est une femme qui est soumise à un traitement de repos par son mari, un médecin, qui ne croit pas qu’elle soit malade. Il pense plutôt qu’elle est hystérique et qu’elle doit reposer ses nerfs en s’abstenant de toute activité stimulante, comme marcher, avoir des conversations, lire ou écrire. Elle devient obsédée par les motifs du papier peint de sa chambre et sombre lentement dans la folie en rêvant de s’évader. L’état mental de la protagoniste présente les symptômes de ce que Gilles Deleuze et Felix Guattari décriraient comme un corps sans organes. Un état d’être qui quitte les limites contrôlées de la façon dont un corps est censé exister, et ne laisse que l’esprit libre en contrôle. Les philosophes ont été inspirés par la description d’Antonin Artaud, dans l’un de ses poèmes, le corps sans organes. Sa définition a été interprétée comme un corps libéré de ses inhibitions et livré à l’abjection. Antonin Artaud rêvait d’un tel corps sans organes, car il souffrait de douleurs.

 
Des penseuses féministes, telles que Silvia Federici, ont déjà fait valoir le travail non rémunéré effectué par les femmes dans leur foyer. Des études européennes menées depuis le début de la pandémie ont montré qu’avant l’apparition de Covid-19, les femmes effectuaient globalement entre deux et dix fois plus de soins et de travaux domestiques non rémunérés que les hommes. Qu’il s’agisse de la garde des enfants, de la cuisine, du nettoyage, de la prise en charge des proches, des courses, des tâches intellectuelles ou du travail émotionnel - tout cela en plus des exigences des emplois et des carrières habituelles, la charge pèse toujours plus lourd sur les épaules des femmes. Depuis la pandémie, le volume global du travail non rémunéré des femmes dans la sphère domestique a augmenté d’environ 30 %. Aujourd’hui, en Belgique, les femmes consacrent en moyenne cinq heures par jour au travail domestique non rémunéré. Comment pouvons-nous guérir, rester en bonne santé et prendre soin de nous-mêmes si les circonstances sociétales nous éloignent de l’égalité ? Les relations que nous créons entre le travail et le corps influencent la manière dont nos corps et nos esprits peuvent guérir. Ces relations et ces équilibres changent à chaque crise que nous traversons en tant que sociétés et communautés. Les circonstances d’une situation post-covid, marquée par les effets de plusieurs guerres et d’une récession économique mondiale, ne doivent pas être négligées dans notre réflexion sur ce que cela signifie pour nos corps et les soins dont ils ont besoin. Certains et certaines d’entre nous ont déjà compris qu’il est important de maintenir une relation entre un esprit sain et un corps sain, et d’utiliser les espaces où nous sommes à l’aise et où nous nous sentons chez nous comme des espaces de guérison et de soins pour nous-mêmes et pour les autres. Mais où se trouve cet espace privilégié appelé maison ? Et où commençons-nous à guérir ou à nous auto-guérir, lorsque les structures créées pour assurer la santé sous toutes ses facettes sont insuffisantes ?

L’ensemble de l’espace deviendra un environnement propice à la réflexion sur la façon dont nous traitons notre corps et l’espace que nous lui accordons dans notre vie quotidienne. L’espace domestique est décoré comme l’intérieur de notre corps. Nous voyons des organes contre les murs, des tableaux brodés fonctionnant comme une fenêtre sur le corps, une cuillère géante prête à nous donner notre médicament du jour, et un papier peint qui porte les motifs de nos troubles corporels intérieurs. La cuillère géante fait référence non seulement aux tâches des soins que l’on attend de la plupart des corps non masculins, mais aussi à la théorie de la cuillère. Il s’agit d’une théorie métaphorique, inventée par Christine Miserandino, pour décrire le quota de la quantité d’énergie physique et mentale dont dispose une personne atteinte d’une maladie chronique pour accomplir les tâches quotidiennes. La cuillère est devenue la représentation visuelle du rationnement de l’énergie en tant que personne malade.